Visages asiatiques, prénoms polonais, mosquées de bois : en Podlachie, une communauté minuscule défend une histoire longue. Anciens cavaliers, ces Tatars revendiquent un héritage forgé par la Horde d’or tout en vivant au cœur d’un pays catholique. Ils résistent par la cuisine, la foi et la mémoire. L’assimilation avance, tandis que de nouveaux arrivants bousculent des usages anciens. Les forêts gardent ce souffle discret.
Horde d’or, racines et fidélités
Les premiers documents datent de 1397, depuis les marécages proches de la Biélorussie, affirme lemonde.fr. Des soldats venus d’Asie servirent la Couronne, car Jean III Sobieski donna des terres plutôt que de l’argent. Une petite noblesse polono-tatare naquit, fidèle aux frontières menacées par les Teutoniques, les tsaristes, puis les armées prussiennes.
Le régiment combattit avec Napoléon en 1812, puis la cavalerie fut dissoute en 1939. La langue s’éteignit, les costumes disparurent, les danses aussi. Restèrent la cuisine au sésame, la viande épicée et un islam sunnite discret. Cette foi se vit sans prosélytisme, donc elle s’insère dans une nation majoritairement catholique.
Un mufti fut institué en 1925, et une loi de 1936 reconnut la minorité nationale. Aujourd’hui, le recensement 2021 évoque 5 400 personnes, quand l’union communautaire en compte 3 000 à 4 000. Chaque nombre dit la fragilité, tandis que la Horde d’or continue d’éclairer les récits familiaux et partagés.
Horde d’or, pratiques et tensions
À Bialystok et Gdansk, les mosquées se vident, car des imams étrangers sont nommés par un mufti formé ailleurs. Des fidèles dénoncent aussi, depuis des années, un monopole sur les certificats halal. Un minaret venu de Turquie nourrit les critiques, tandis qu’une pratique locale subsiste, avec transcription polonaise du Coran.
Les rites restent ouverts : aucun hidjab imposé, du vin servi chez des restaurateurs, des funérailles mixtes au quotidien localement. Cette souplesse se confronte à l’arrivée de migrants du Moyen-Orient, nombreux. Le choc culturel pèse, car des usages nouveaux s’installent et déplacent des équilibres forgés durant des siècles en Podlachie.
La généalogie relance la fierté, mais les archives dorment encore à Moscou, Saint-Pétersbourg et Minsk. Les mariages mixtes se multiplient depuis l’époque soviétique, donc la mémoire se dilue encore lentement. Pourtant, des familles recréent des danses « bunczuk » et rassemblent des photos sépia qui ancrent la Horde d’or au quotidien.
Villages, frontières, mémoires
Kruszyniany et Bohoniki gardent leurs mosquées de bois. En 2010, le prince Charles visita le premier village, donc la notoriété grimpa. Dès 2012, le site devint monument historique. La Horde d’or survit ici par des plats servis et des gestes transmis au restaurant « Yourta ». Les visiteurs affluent l’été, très régulièrement.
En 2021, la crise frontalière bouleversa Bohoniki durant l’hiver rigoureux. Des centaines de migrants tentèrent la forêt, aidés par Minsk, pendant des semaines, et onze tombes nouvelles apparurent au mizar. Un mur métallique, haut de plus de cinq mètres, barra un horizon jadis ouvert, presque, pour ces anciens nomades fatigués.
Le guide local conte les dates, car chaque tombe dit une étape, avec pudeur. Les prénoms doubles, les couples mixtes et des métiers ordinaires montrent une polonité assumée avec les années. Au fond, l’identité se maintient par le quotidien, puis par le récit transmis, sans que la citoyenneté se ferme.
Préserver une présence ancienne dans un quotidien ouvert
La survie passe par des gestes simples : cuisiner, prier, transmettre sans nostalgie figée. Les Tatars vivent polonais, tout en gardant une mémoire venue des steppes. Ils négocient tensions et brassages, car l’histoire a toujours mêlé influences et fidélités. Le fil demeure, et la Horde d’or sert encore de boussole identitaire. Elle n’exclut pas l’ouverture, ni l’amitié, autour d’une table partagée.